Il est bon d’adoucir par les mots certains passages compliqués de notre existence. Une grossesse extra-utérine est un de ces moments délicats. Avant tout, il s’agit d’une période physiquement et moralement éprouvant pour la femme.
Pour un conjoint masculin, c’est à une autre échelle. La difficulté est de calmer les culpabilités incohérentes. On charrie facilement le monsieur de ne pas maîtriser ses petits soldats. Mais dans les esprits, il n’est pas automatique que l’acte d’amour puisse entraîner de tels problèmes.
Nous imaginons difficilement à quel point un microscopique gamète mâle peut faire souffrir. La différence de structure biologique ne nous permet pas, à nous les hommes, de comprendre la douleur que l’on observe chez notre conjointe.
Il ne nous reste qu’une chose à faire, être présent quoiqu’il en coûte. Être là autant que possible. Réactif, attentif et aux petits soins. Mesdames Messieurs, sur cette page vous trouverez le témoignage d’un homme qui a accompagné sa femme tout au long de ce calvaire.
Mais avant, une petite histoire éducative avec un poil d’humour. Juste ce qu’il faut. Bonne lecture.
Le sommaire de Blablamour ;-)
Raconter la grossesse extra-utérine : la courte histoire du petit soldat blanc
Cette histoire relate l’exploit prodigieusement mal venu d’un gamète mâle pour le moins téméraire, mais particulièrement débile. Notre récit commence 5 semaines avant que ne puissent être ressentis les premiers effets de cette folie. Bien qu’il s’agisse d’un temps passé datant de jadis, naguère, d’antan, permettez-moi de vous faire ce récit au présent.
En l’an 2021, point de guerre à l’horizon, seulement de l’amour. Beaucoup d’amour. Tant est si bien que la grande armée blanche n’effectue que des missions d’exploration.
Dans cette armée hétéroclite, il y a plusieurs catégories de soldats : les éclaireurs, les bagarreurs, les sprinteurs et les défaitistes. Un coup, ou plutôt devrais-je dire, une fois, l’armée blanche s’est vue propulsée à vitesse grand V dans une contrée soyeuse.
La légende dit que plusieurs dizaines de milliards de guerriers blancs avaient déjà péri en ces lieux. Pourtant, à première vue, tout semble normal et agréable. Le sol et les parois sont d’une douceur sans égale. Une petite lumière d’ambiance rouge rosée des plus charmantes envahit la place centrale. Les soldats sont ébahis.
Soudainement, parmi les troupes, certains bataillons commencent à vaciller puis à s’affaler sur le sol. Le temps presse. Il faut qu’ils avancent sinon ils finiront sans doute comme les armées précédentes. Alors qu’ils entament leur exploration, il ne leur faut pas longtemps avant de tomber sur une étrange créature.
Celle-ci, semble-t-il, barre le seul chemin possible. Ce monstre, aux proportions gigantesques, a une ossature en plastique et une armure de cuivre. La plupart des soldats, pris de peur, reculent et tombent. Leurs pieds se sont emmêlés dans des fils en nylon rattachés à la créature.
Mais les soldats sont là pour explorer et ils ne comptent pas mettre fin à cette mission à cause du premier obstacle venu . Ils longent alors les fils, puis arrivent au pied d’une montée, peut-être même d’un col. Le bataillon d’éclaireurs tente alors de se glisser entre la douce paroi rosée et l’armure de cuivre.
Soudain, dans l’effroi le plus total, les combattant en contact de l’armure de cuivre se mettent à hurler de souffrance. Chacun d’entre eux s’éteint sur place en obstruant un peu plus l’entrée.
Alors que l’armée royale voit le moral de ses troupes baisser aussi vite que ses effectifs, ils entendent une voix provenant de l’autre bout du tunnel. Kévin ! Il s’agit du plus, du plus, comment dire ? Du plus idiot ? Non ce n’est pas sympa. Disons du plus inattendu. Kévin est le boulet du régiment sur lequel personne ne miserait sa ration. Il est volontaire, mais disons que… c’est Kévin quoi. Bref, on ne sait pas par quel miracle il a réussi sa traversée.
Le général lui somme de rester où il est et de ne surtout pas bouger. Ne pas bouger. Sous aucun prétexte. Aucun prétexte ! Le hic avec Kévin, c’est que prétexte ou pas…
Bref, l’ordre est clair, limpide pour tout le monde sauf évidemment pour Kévin. Notre benêt blanc et blanc benêt a face à lui un choix double d’entrées. Après un am stram gram qui lui indique la droite, il décide de partir à gauche. Il entame alors à vive allure, l’escalade d’une montée étroite. Il entend s’éloigner la voix furibonde et désespérée du général. Puis plus rien. Est-il trop loin ? L’armée a-t-elle péri ? Les deux ? Peu importe, il faut continuer.
Entêté, obstiné et téméraire, aussi un peu bête pour rester correct, Kévin continue à ramper sans s’arrêter. Soudainement un immense vrombissement se fait entendre. Cela provient de l’autre bout du conduit. Kévin, arborant un sourire niais, lève la tête en direction du bruit. En un instant le sourire laisse place à l’effroi.
Un immense ovule est en train de dévaler cette trompe d’accès. Dame Ovule est de sortie. Mais elle n’a pas le temps de descendre entièrement car à mi-chemin, elle se plante sur la tête de Kévin. Semblable à une écharde, le petit guerrier désobéissant la surprend et Dame Ovule l’absorbe instantanément.
C’est là que j’arrête mon récit de la quête du petit soldat blanc. Car c’est pile à ce moment-là que commencent les vraies complications.
Parler de la grossesse extra-utérine en vrai
Je me présente, je m’appelle Guillaume et ma compagne, Aurélie, a été sujette à une grossesse extra-utérine. Nous en avons eu conscience 5 semaines après les événements relatés par le récit précédent.
Prélude à la grossesse
Cela fait plusieurs matins que ma compagne, bien qu’en forme, se lève avec de fortes douleurs au côté gauche du bas ventre. Deux mois se sont écoulés depuis la pose du dernier stérilet. Afin de vérifier que le dispositif est bien placé, il est préférable de procéder à une échographie. Nous sommes étonnés des délais : 2 mois d’attente.
En deux mois, le corps bouge, vit et la fréquence des rapports sexuels ne ralentit pas forcément. Et puis, qu’est-ce qui pourrait bien arriver ? Une pose de stérilet ce n’est pas compliqué. Ça marche toujours. Pourquoi s’abstenir ou mettre des préservatifs ? Si seulement nous avions su…
Au bout de 2 mois, l’échographie est réalisée. Les résultats sont sans appel : le stérilet est descendu et mal positionné.
Aussitôt, Aurélie décide de prendre rendez-vous chez sa gynécologue. Nous devons attendre encore 3 semaines, pendant lesquelles les douleurs continuent. Objectif du rendez-vous : retrait du stérilet. L’opération est courante et se passe donc sans encombre.
À la fin de cette entrevue, une prise de sang est prescrite. Cette analyse n’est même pas réalisée dans l’objectif de voir s’il y a une grossesse ou non. Car la théorie veut que le cuivre fasse quand même son travail. Il s’agit donc d’une analyse de routine pour s’assurer qu’il n’y a pas d’anomalie particulière.
Les analyses sanguines sont tout de même accélérées sous la pression d’une gynéco pour le moins inquiète. La théorie est reine dans les livres, mais dans la vie, seuls comptent les faits. Dans les environs de 17 heures 30, le téléphone sonne. C’est la gynécologue. Le bilan d’analyse fait remonter un taux anormalement élevé de molécules de grossesse. Aurélie est enceinte de 3 semaines.
Une donnée qui augmentera par la suite. Elle nous conseille vivement d’aller aux urgences. Sans parler de grossesse extra-utérine, il faut tout de même faire des examens, le plus tôt possible.
Direction les urgences
Branlebas de combat. Direction les urgences.
Oui mais où ? À Albi ou à Castres ?
De réputation Albi c’est la misère donc direction Castres. Go go go. C’est là qu’on est bon nous les hommes. La précipitation. On oublie des trucs c’est vrai, mais on est rapide. Transporter notre femme d’un point A à un point B on sait le faire et en un temps record. Et puis, intérieurement, on peut enfin être utile. Avant ça on se sent impuissant face à la douleur de l’être aimé. On fait ce qu’on peut, bouillotte, verre d’eau, doliprane et surtout présence.
Dans la voiture, ne sachant pas encore que la grossesse est extra-utérine, les questions intimes et ultimes se posent : Que fait-on ? On le garde ? Sommes-nous prêts ? Comment va-t-on faire ? Pour ne rien vous cacher : je ne veux pas d’enfant ! Pas de suite ! Mais bon, la vie est taquine et si la grossesse avait été normale, je serais sûrement futur papa aujourd’hui. Prêt à agir et fidèle au poste.
Urgences gynécologiques
Il est 18h00 et nous voilà aux urgences de Castres.
Les discussions sérieuses sont passées et les accords sont établis. On se dirige vers l’entrée et on sonne. Une femme fatiguée, mais bienveillante vient nous ouvrir le SAS. Elle nous explique le déroulement des choses. Covid oblige, monsieur doit rester dehors. Je m’exécute et retourne à contrecœur à la voiture. Batteries des téléphones à 10 %. Évidemment. On passe en mode économie d’énergie.
Pendant tout ce qui suit, j’attends dans la voiture, les yeux rivés sur le téléphone.
Tout commence par une inscription à l’accueil. Administration oblige. Une fois cette formalité faite, la femme du SAS vient chercher Aurélie. En réalité, c’est le médecin d’accueil. Gentiment elle vient quérir quelques détails supplémentaires concernant notre venue aux urgences. Un dossier est créé. Retour en salle d’attente pendant pas loin de 2 heures.
Vient alors une infirmière chargée de faire une prise de sang. Pour étoffer un peu plus le dossier, une nouvelle demande d’informations s’opère. La prise de sang est faite. Aurélie doit garder le cathéter au cas où. Une nouvelle médecin arrive et annonce que la prise de sang confirme la grossesse.
Prochaine étape : le gynécologue de garde.
Manque de bol, il a dû partir en urgence il y a de ça 30 secondes pour un accouchement. 20 minutes d’attente. Loin de se plaindre, Aurélie, très empathique, imagine quelle est la vie de ces personnes. Pendant ce temps, elle ne pense plus à la grossesse et à la raison de sa venue.
Le gynécologue est de retour. Après consultation du dossier, il décide de procéder à une échographie. La grossesse est nettement visible et se situe à ⅓ de la trompe en partant de l’ovaire. Il faut garder à l’esprit que jusqu’à ce moment précis nous ne savions toujours pas que la grossesse était extra-utérine. Nous savions qu’il y avait une grossesse en cours, mais le côté extra-utérin venait seulement d’être soulevé et certifié.
La décision est prise d’opérer au plus vite, car la situation ne peut qu’empirer. En plus, selon les analyses sanguines précédentes, la grossesse n’est pas de 3 semaines, mais de 5. Soit pas loin d’un mois et demi. C’est déjà beaucoup.
La douleur est due à l’étirement des tissus. Ces derniers subissent une pression exercée par la multiplication cellulaire qui gagne en volume à un endroit inapproprié.
Aurélie m’envoie alors un message pour m’informer qu’elle va être opérée. Covid ou pas, il faut que je rentre dans les urgences pour voir ma femme. Pas de problème, les médecins et les infirmières en poste sont très compréhensifs. On prend ma température intra-auriculaire. Pas de covid, je peux donc rentrer.
J’arrive dans la pièce où je retrouve Aurélie en tenue adaptée à l’opération. Deux infirmières nous expliquent la marche à suivre. Puis arrive l’anesthésiste, très calme et très pro. Il note tout, poids, taille, allergies, etc.
On nous laisse un peu d’intimité. On discute. On s’apaise mutuellement. Il y en a besoin. Un dernier câlin pour la route. J’embrasse ma femme. Il est 22h30 et je vois mon cœur s’éloigner sur son lit à roulettes.
Friction entre temps et espace : l’attente et l’éloignement
Je rentre chez nous. Impossible de dormir.
Pourtant, tout ce stress et cette précipitation m’ont lessivé. Heureusement, Netflix est là pour me lobotomiser et m’offre le luxe de ne penser à rien. À minuit et demi, le téléphone sonne. Une voix masculine demande s’il est bien en contact avec Guillaume, je réponds que oui.
C’est le chirurgien en personne qui m’appelle pour me dire que tout s’est bien passé. Il me donne quelques détails rapidement : la grossesse a été extraite dans la trompe et l’ovaire a été préservé. Quel brave homme ! Je le remercie grandement de m’avoir appelé. Et il raccroche, voguant vers d’autres urgences, ou vers son lit s’il a de la chance.
Aurélie est restée 1 jour et demi dans sa chambre de repos. Nous ne nous sommes vus qu’une fois. Difficile de s’approcher avec le protocole sanitaire.
Quand Aurélie est sortie, son humble chauffeur l’attendait avec un immense bouquet de fleurs et des viennoiseries. Pendant un mois, elle a dû faire une prise de sang par semaine pour suivre la régression des molécules de grossesse. Les traces de l’opération se résument à 3 petites entailles. Dont une dans le nombril qui la démange encore.
Prendre conscience et être présent
Comme vous avez pu le voir au fil de ce témoignage, la grossesse extra-utérine n’est pas anodine. Ce n’est pas le genre de mal à prendre à la légère. Si elle est découverte trop tard, l’issue peut être douloureuse et, dans le pire des cas, fatale. Il est important d’être vigilant pour éviter ce genre de situation. Vigilant et prudent.
Je m’adresse maintenant à mes collègues fournisseurs de gamètes mâles : sachez que même si cette douleur ne nous appartient pas, nous sommes impliqués. Il ne faut pas culpabiliser d’être le papa d’un spermatozoïde fauteur de trouble. Ça ne sert à rien et ça sape un peu plus le moral. Vous pouvez être inquiet, mais l’essentiel est que vous soyez là autant que possible.
La grossesse imprévue est une épreuve. Le danger de l’extra-utérine se situe à un niveau supérieur. Sachez que vous êtes beau et vous êtes fort, à la seule condition que vous soyez présent pour celle à qui vous avez fait ce don malencontreux.
Le plus beau des cadeaux de réconfort que vous pouvez faire à votre femme est d’affronter cette épreuve à deux.
Guillaume Baillet